Il était une fois la Silicon Valley

En janvier 1971, pour la première fois dans un journal d’électronique, le terme Silicon Valley désigne explicitement une vaste zone géographique recouvrant plusieurs villes de la baie de San Francisco. Depuis, cette désignation évoque la technologie, les géants technologiques.

Pourquoi la Silicon Valley se trouve à San Francisco et pas ailleurs ? Pourquoi, c’est ici que dans les années 1970, la micro-informatique sera créée et explosera à travers le monde ? Même si Microsoft n’est pas à San Francisco, mais à Seattle, l’histoire de l’éditeur se joue en partie à San Francisco.

Mais qu’y avait-il avant la Silicon Valley ? Sans dévoiler un spoiler, on dira la Silicon Valley ! On peut dire que c’est Intel qui va influencer le choix du nom, avec les autres fondeurs du moment. En réalité, la vallée a une longue tradition dans le composant, l’électronique et le silicium ! Au départ, on parle uniquement de silicium et non de logiciels, d’où le nom de Silicon Valley, littéralement, vallée du silicium.

C’est là que se joueront plusieurs révolutions technologiques cruciales : la généralisation du transistor, le circuit intégré, le (micro)processeur, les méthodes de fabrications, la convergence des ingénieurs et des financiers. Et dans une certaine ironie, c’est grâce aux géants des composants de la Silicon Valley que les fabricants asiatiques vont émerger au début des années 1960 !

C’est aussi une longue histoire d’ego, d’erreurs, de conflits. Et si Intel a été créée à la fin des 1960 et s’est rapidement imposée, tout part d’une société qui fut le mastodonte des composants électroniques des années 1960 : Fairchild ! Ce nom ne vous dit sans doute rien, mais sans Fairchild, Intel n’aurait peut-être pas existé et surtout le circuit intégré n’aurait pas pu s’imposer aussi rapidement.

Fairchild

Fairchild devait être le tycoon de l’électronique. La société a profité du départ de plusieurs ingénieurs clés de la concurrence. Et Fairchild chuta de la même manière. Pour les uns ce furent des opportunistes (au sens premier du terme) qui surent profiter du bon moment pour créer quelque chose, pour d’autres, ce sont des traîtres (les mythiques « 8 traîtres »). Ils furent à l’origine de la révolution de l’électronique intégrée et surtout du futur microprocesseur d’Intel ! Tout le monde croyait en l’omnipotence de Fairchild, mais l’apogée dura seulement quelques années. Les années 1968-1970 lui furent fatales et Intel en sortit vainqueur.

Aujourd’hui, vous êtes beaucoup à croire que la loi de Moore a été édictée par Gordon Moore chez Intel. Oui, Gordon Moore fut l’un des piliers fondateurs d’Intel, mais Moore élabore cette loi en 1965 alors qu’il est l’un des meilleurs ingénieurs de sa génération.

Mais alors, comment expliquer la chute aussi rapide de Fairchild ? Le départ des principales têtes pensantes dont Moore et Grove n’expliquent pas tout. C’est aussi une histoire d’opportunité marché et le ratage d’un virage technologique crucial à la fin des années 1960. À ce moment-là, c’est le triomphe du circuit intégré et de l’intégration des composants. Le transistor n’est plus la vedette incontestée. Le marché est passé à autre chose et tout particulièrement la technologie MOS.

Le transistor est sans doute l’invention technologique la plus importante du milieu du 20e siècle. Sans lui, pas d’électronique grand public, pas de microprocesseur, pas d’ordinateur, pas de smartphone ! Il fera, à la fois, la gloire des fabricants et leur chute. Durant les années 1960, ce fameux transistor sera à l’origine de l’électronique asiatique et surtout de l’industrie japonaise qui saura s’imposer dès le milieu des années 1970. Sans les fabricants américains de la vallée, l’électronique asiatique aurait eu beaucoup plus de mal à émerger et à s’imposer.

Les fabricants américains ont besoin de nouvelles chaînes de fabrication et le gouvernement japonais cherche à développer son industrie… Les intérêts convergeront. Fairchild ne sera pas étranger à cette évolution : en ouvrant des usages à Hong Kong, puis à Taiwan. Et le constructeur va laisser les Japonais acquérir l’utilisation de nombreux brevets.

La Silicon Valley de 1971 hérite en réalité d’une longue histoire technologique, depuis les années 20-30, avec une accélération dès les années 40 et 50. De nombreux facteurs favorisent l’émergence de la région : les universités et particulièrement Stanford, l’argent des investisseurs et des contrats d’Etat, la création de sociétés d’électronique et surtout des usines de fabrication. La vallée produit beaucoup et cette production est stratégique pour les États-Unis. Les grandes sociétés de la côte Est ouvrent des bureaux sur la côte Ouest. Les ingénieurs se délocalisent à San Francisco et au même moment, c’est toute la Californie qui se développe à grande vitesse. Car jusqu’aux années 1920-30, la Californie est un État peu peuplé et économiquement pauvre.

En 20 ans, des années 1950 à 1970, la Californie va devenir le leader technologique des États-Unis et de facto, du monde entier. Nulle part ailleurs, on y voit une telle concentration d’ingénieurs, d’investisseurs, de sociétés technologiques et d’usines. C’est sur cette « première » Silicon Valley que la Silicon Valley telle qu’on la connaît aujourd’hui apparaît à la fin des années 1960.

La vallée profite pleinement des clubs homebrew du début des années 1970. Sans eux, la micro-informatique n’aurait pas existé, du moins, pas comme nous l’avons aujourd’hui. On comprend que cette Silicon Valley est la convergence des fabricants et des jeunes esprits. C’est aussi grâce à plusieurs sociétés spécialisées dans les instruments de mesure, une des plus connues est HP, qui vont peu à peu se convertir à l’électronique puis à l’informatique.

Si les premiers « géants » de la Silicon Valley sont avant tout des fabricants, des créateurs de matériels, très rapidement, ils comprennent qu’il faut des programmes pour utiliser leurs machines. Il faut du code, il faut des ingénieurs, des développeurs. Ce sera le terreau fertile pour les futurs Apple, Microsoft, Digital Research, Osborne, etc.

Qui se souvient que Steve Jobs fera le forcing auprès des fondateurs de Hewlett-Packard pour avoir les composants nécessaires pour son futur Apple I que Woz conçoit ? HP était un important fabricant de composants dès la fin des années 1960… Et Jobs aura son premier stage dans le monde électrique chez… HP à la fin des années 60 !

Qui se souvient que cette électronique de la Silicon Valley profite des consoles et des bornes d’arcade ? Oui, il faut des jeux et donc des développeurs, mais il faut aussi des circuits intégrés et des composants… Le jeu sera l’un des premiers marchés grand public de la Silicon Valley !

Qui se souvient que Intel fut d’abord un fabricant de puces mémoires et que le microprocesseur fut une opportunité quand ses équipes vont créer le 4004 ? Ironie de l’Histoire, l’Intel 4004 n’aurait jamais dû être vendu sur le marché. À l’origine, il s’agit d’un composant dédié à un unique client japonais qui se retrouva au bord de la faillite lorsque le 4004 sort des usines.

4004